Civilisations, esclavage, nazisme : les réponses de Roucaute, la plume de Guéant

Publié le 10 Février 2012

Philosophons 10/02/2012
Civilisations, esclavage, nazisme : les réponses de Roucaute, la plume de Guéant
Auteur François Krug | Journaliste Rue89

Auteur du discours de Claude Guéant sur les civilisations, le philosophe Yves Roucaute a d'autres arguments à lui offrir sur le nazisme, l'esclavage ou le racisme.

L'information a été révélée par Europe 1, et confirmée au Monde par l'intéressé : c'est le philosophe Yves Roucaute qui a fourni à Claude Guéant la formule qui enflamme, depuis le week-end dernier, le débat politique.

Samedi, lors d'un colloque organisé par le syndicat étudiant de droite Uni, le ministre de l'Intérieur avait appelé à « protéger notre civilisation » :

« Contrairement à ce que dit l'idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles qui défendent l'humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l'égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique. »

Un communiste devenu néoconservateur


Yves Roucaute sur le plateau de LCI, en novembre 2010 (IBO/SIPA)

Yves Roucaute, professeur à l'université de Nanterre, est lui-même un rescapé du « relativisme de gauche » : dans les années 70, il avait été un des dirigeants de l'Unef et de l'Union des étudiants communiste. Un égarement de jeunesse.

Le philosophe a finalement évolué vers un néoconservatisme à l'américaine, en apportant au passage ses lumières à plusieurs figures de droite, comme Alain Madelin, Alain Carignon et, donc, Claude Guéant.

Si son discours écrit pour le ministre de l'Intérieur restera dans les mémoires, c'est aussi parce qu'il a été à l'origine d'un incident de séance historique à l'Assemblée nationale.

Mardi, lors des questions au gouvernement, le député de Martinique Serge Letchimy, apparenté socialiste, a évoqué le nazisme pour dénoncer les propos de Claude Guéant :

« Vous nous ramenez, jour après jour, à ces idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration, au bout du long chapelet esclavagiste et colonial. »

Le gouvernement et l'UMP ont immédiatement quitté l'Hémicycle. Pourtant, Claude Guéant aurait pu trouver des réponses prêtes à l'usage dans les œuvres de sa plume (on n'ose pas écrire « son nègre », sans doute par relativisme de gauche).

Le nazisme « inventé par la gauche »

Par exemple, dans cette tribune publiée dans Le Figaro le 3 septembre, expliquant « ce qui ne peut plus durer au PS ». Yves Roucaute veut en finir avec « les accusations de collusion de la majorité avec le FN » et les « attaques ad hominem contre un ministre de l'Intérieur » :

« Le Tartuffe Harlem Désir le sait bien : ce sont ses amis d'extrême gauche qui inventèrent le fascisme avec le socialiste Mussolini, numéro deux du Parti socialiste italien, le national-socialisme avec Hitler, leader du Parti ouvrier allemand, tout autant que le goulag et le laogai. Il faut avoir le verbe plus fin que le nez pour oublier qu'en France même le parti nazi a été construit par Jacques Doriot, numéro deux du Parti communiste, et le parti fasciste par Jacques Déat, député socialiste [il s'agit en fait de Marcel Déat, ndlr]. Et pour oublier que celui qui lança le Front national s'appelle François Mitterrand. »

Des esclavagistes noirs ou arabes


Claude Guéant au dîner du Crif, le 8 février 2012 (Gonzalo Fuentes/Reuters)

Et si, mardi à l'Assemblée, Serge Letchimy s'était contenté d'évoquer l'esclavage ? On ignore si Claude Guéant aurait aussi quitté l'Hémicycle, mais là encore, il aurait pu se plonger dans l'œuvre d'Yves Roucaute.

Le ministre de l'Intérieur aurait ainsi pu piocher dans « La Puissance de la liberté », publié en 2004. Le Figaro en avait offert un extrait à ses lecteurs, justement consacré à l'esclavage :

« Comment peut-on continuer à prétendre attribuer aux Blancs, Américains en tête, l'origine et le goût de l'esclavage ? [...]

Comment ignorer que depuis la plus haute antiquité, tous les peuples ignorant l'inaliénabilité des droits fondamentaux pratiquèrent l'esclavage ? En Afrique, avant même la traite des Noirs par les Blancs, il y eut celle des Noirs par les Noirs et celle des Blancs par les Arabo-Berbères et les Turcs [...]. L'esclavagisme, reconnu par la Charia, était une pratique courante des Arabes, avant d'influencer le monde musulman d'Afrique et d'Orient [...].

Leur traitement ? L'ignominie atteint des sommets inconnus chez les Européens. La mutilation génitale infligée aux garçons de 8 ans pour fabriquer des eunuques était courante. Les femmes noires (et blanches) étaient systématiquement violées. Si elles devenaient enceintes, elles étaient avortées ou leurs enfants se trouvaient réduits en esclavage s'ils n'avaient pas été tués à la naissance par les concubines arabes [...]. »

Yves Roucaute avait déjà beaucoup réfléchi à l'histoire de l'esclavage : il y avait consacré une tribune dans Le Figaro (non disponible en ligne) en 2001, avec Jean-Jacques Roche, professeur à l'université Paris-Assas. Les auteurs dénonçaient « la repentance à sens unique », alors que se déroulait la conférence de Durban contre le racisme.

Défendre les minorités « sans idéologie »

Le racisme, justement : voilà une autre de ces accusations que Claude Guéant, avec l'aide d'Yves Roucaute, devrait pouvoir écarter facilement. Le ministre n'aurait qu'à relire ce que le philosophe écrivait en 2008, à propos de Barack Obama.

Dans La Tribune, Yves Roucaute renvoyait les admirateurs du nouveau président américain à leurs contradictions :

« Faut-il au moins saluer le recul de l'anti-américanisme via l'élection d'un “Président noir”  ? Recul momentané. Aurais-je d'ailleurs la cruauté de noter la myopie  ? Le rêve de Martin Luther King, celui de tout humaniste, de ne plus voir la couleur de la peau en regardant un enfant, où est-il  ? »

« L'intérêt de la France et de l'Europe », c'était l'élection du républicain John McCain, avait averti Yves Roucaute dans Le Figaro quelques mois plus tôt. Au passage, il refusait l'idée « que Barack Obama réconcilierait l'Amérique avec elle-même, Blancs et Noirs ».

Selon lui, la « réconciliation raciale » était déjà terminée. Grâce aux Républicains, d'Abraham Lincoln à George W. Bush, de celui qui avait aboli l'esclavage à celui qui avait recruté Condoleezza Rice, à la fois « une femme et une Afro-Américaine » :

« Il ne suffit donc pas de dire que la gauche démocrate n'a pas le monopole de la défense des femmes et des minorités, il faut ajouter que la droite républicaine, fidèle à ses valeurs judéo-chrétiennes de liberté, les défend mieux et sans idéologie. »

Remplacez George W. Bush par Nicolas Sarkozy, Condoleezza Rice par Rachida Dati ou Rama Yade : grâce à Yves Roucaute, voilà Claude Guéant prêt à répliquer « sans idéologie » aux prochaines attaques des relativistes de gauche.

Rédigé par jeanfrisouster

Publié dans #citoyens d'europe

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