Le journaliste qui a précipité la chute du mur de Berlin

Publié le 5 Novembre 2009

Le 9 novembre 1989, Riccardo Ehrman a posé au Parti LA question qui a officialisé l'ouverture des frontières de la RDA.

Conférence de presse du 9 novembre 1989 (Archives La2/Rue89)

(De Madrid) « Le mur est tombé ! » En l'entendant, exalté au bout du fil en ce début de soirée du 9 novembre 1989, les collègues du journaliste de l'agence italienne Ansa l'ont d'abord cru fou. Riccardo Ehrman venait de précipiter l'ouverture des frontières entre les deux Allemagne avec une simple question.

« J'étais en retard », admet l'octogénaire, confortablement assis dans son salon, à Madrid, où il s'est installé peu après l'explosion du bloc soviétique. Le ministère des Affaires étrangères de la RDA l'avait pourtant prévenu que la conférence de presse, prévue en fin d'après-midi, serait « importante » et les évènements agitant l'Europe de l'Est depuis des mois rendait l'actualité émanant de Berlin on ne peut plus sensible.

« Mais je n'ai pas imaginé un instant l'ampleur de ce qui allait en ressortir. »

Alors en poste à Berlin depuis quatre ans, il était habitué aux compte-rendus sans surprises des réunions du parti communiste de la République démocratique d'Allemagne (RDA). Habitué aussi à trouver de la place facilement aux alentours du centre de presse international de Berlin Est. La routine.

Mais ce jour-là, le correspondant déjà vétéran de l'agence Ansa met plus de temps que prévu à se garer et entre en retard dans la salle de conférence.

Dans la confusion, l'officiel annonce l'ouverture immédiate des frontières

Tous les sièges rouges vermillon de la salle de presse étant pris, il va s'asseoir aux pieds des intervenants, sur l'estrade (à gauche sur la photo). Soit en plein champ des caméras qui enregistrent une conférence sur le point de devenir historique.

Au centre, costume gris, cheveux gris, enfoncé commodément dans son fauteuil, Günter Schabowski, responsable du bureau politique est-allemand, égrène mécaniquement ses annonces officielles.

Riccardo, lui, a levé la main depuis son arrivée et attend pendant que ses collègues « posent des questions stupides », affirme-t-il, sans complexes et encore agacé vingt ans plus tard par l'ambiance apparemment ronronnante. « Voyons ce que veut savoir notre collègue italien », aurait finalement décidé Schabowski.

Ehrman ramène alors la conversation sur le projet d'une nouvelle loi régulant les voyages des Est-Allemands : « N'est-pas une grave erreur ? », demande-t-il. Visiblement troublé, Schabowski fouille dans ses papiers et après une longue tirade, se ressaisit pour annoncer :

« Nous avons décidé aujourd'hui d'une nouvelle réglementation permettant à tous les citoyens de la RDA de sortir des frontières à travers les postes frontières de la RDA. »

La salle s'anime en entendant ces mots et le responsable de plus en plus embarrassé du Politburo se retrouve pris dans le feu croisé de questions d'Erhman et de ses collègues.

« Je lui ai demandé : “ Sans passeport ? ”, “ A Berlin aussi ? ” », se souvient l'Italien.

Les questions fusent : « A partir de quand entrera-t-elle en vigueur ? », entend-on. Au comble de l'embarras, Schabowski répond finalement : « Immédiatement. »

[Nos confrères d'@rrêt sur image ont rediffusé jeudi les extraits de cette conférence de presse : cliquez ici]

« Riccardo est devenu fou ! »

A peine ces mots prononcés, Riccardo Ehrman se rue vers une cabine téléphonique pour appeler sa rédaction, à Rome.

« Je leur ai dit : “ Le Mur est tombé. ” Et là, silence. J'entendais derrière mon chef, muet, la rédaction qui s'agitait et quelqu'un a lancé : “ Ricardo est devenu fou. ” Mais en peu de temps, quelques secondes, mon collègue s'est décidé : “ On lance la dépêche. ” »

L'Italienne Ansa est l'une des premières agences de presse a annoncer la nouvelle.

Journaliste ? Dire la vérité, comprendre les réponses et boire du whisky

N'a-t-il pas douté un instant devant la stupeur de ses collègues, n'a-t-il pas eu peur de s'être trompé ? Riccardo Ehrman à Madrid (Elodie Cuzin/Rue89)

« On me dit que je suis “ le journaliste de la question ”, mais comme toujours dans la vie, c'est la réponse qui compte », explique Ehrman.

« Notre métier consiste à dire la vérité mais pour cela tu dois la comprendre. Je n'ai pas eu de la chance ce jour-là, j'ai fait mon métier car c'était limpide : le mur avait été construit en 1961 à Berlin pour bloquer les voyages. Or tout à coup, on les autorisait.

Les Allemands de l'Est aussi l'ont tout de suite compris et se sont pressés vers les postes-frontières. »

« On n'est pas non plus un vrai journaliste si on ne boit pas de whisky », explique-t-il, plaisantin, en offrant un verre au visiteur dans son salon chargé des souvenirs de ses nombreuses missions de correspondant pour Ansa : Inde, Canada, Etats-Unis et bien sûr, Berlin, à deux reprises. Un poste où il a atterrit, soupçonne cet Italien d'origine juive-polonaise, car il était le seul dans l'agence à parler allemand.

Certains l'accusent d'avoir travaillé pour la RDA

Décoré de la croix fédérale du mérite par le président allemand en 2008, au nom de l'unification, à 80 ans, Riccardo Ehrman se considère toujours comme étant journaliste. Il s'envole d'ailleurs ce week-end pour Berlin, où il commentera les commémorations pour des médias allemands et italiens.

Il a maintenu des relations cordiales avec celui qu'il a fait bafouiller, il y a vingt ans, et s'enquiert régulièrement de la santé de Günter Schabowski, malade aujourd'hui.

Mais tout n'est pas que bonne humeur et cordialité autour du souvenir de cette fameuse conférence de presse. Un journaliste allemand, Peter Brinkmann, lui dispute l'honneur d'avoir posé la question qui a « fait tomber le mur » : « L'enregistrement est clair, Schabowski répond à mes questions », s'énerve Ehrman, vexé que son confrère mette en plus en doute ses talents à l'oral, en allemand.

D'autres le soupçonnent d'avoir travaillé pour la RDA, ce jour-là.

« C'est absurde : Pour faire cette annonce historique, ils n'avaient pas besoin qu'un complice leur pose une question. »

Photo : Riccardo Ehrman à Madrid devant l'un des nombreux articles qui lui sont consacrés en Allemagne (Elodie Cuzin/Rue89)

Rédigé par jeanfrisouster

Publié dans #citoyens du monde

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