Non, le lauréat du prix Pulitzer 1994 n'était pas un charognard

Publié le 22 Février 2011

Capture d'écran du reportage d'Alberto Rojas sur le site d'El Mundo (DR).

Un vautour posé au sol semble attendre sa pitance, immobile, à quelques mètres d'un enfant affamé, visiblement à bout de force, le front appuyé au sol. Le secret de l'une des photos les plus polémiques de l'histoire des médias vient d'être dévoilé en Espagne.

Prise au sud du Soudan, alors en pleine guerre civile et pendant une grande famine , « la fillette et le vautour », comme on surnomme le cliché, a valu le prix Pulitzer au photographe sud-africain Kevin Carter en 1994 et déclenché une débat qui fait encore rage.

Le charognard n'est-il pas le photographe, qui se contente d'immortaliser le moment sans aider l'enfant, comme il l'a lui-même admis plus tard ? Le poids de la culpabilité ne l'a-t-il pas d'ailleurs poussé à se suicider quelques semaines plus tard ?

La fillette était un petit garçon

Pour la première fois depuis dix-huit ans, un journaliste a décidé de suivre la piste de cette célèbre image jusque dans un petit hameau à quelques kilomètres d'Ayod, au sud du Soudan donc, alors surnommé le « triangle de la faim ».

Et l'on découvre que l'enfant, en fait un petit garçon, avait survécu à la famine. Et que le photographe n'aurait rien pu faire pour l'aider.

Au moment où la photo a été prise, Kong Nyong, comme s'appelait le garçonnet, ne se trouvait qu'à quelques mètre de sa tante – sa mère étant morte en couches – et d'autres adultes qui faisaient la queue pour obtenir la ration alimentaire que les volontaires de Médecins du monde distribuaient alors aux enfants du village, explique Alberto Rojas, le reporter d'El Mundo qui a retrouvé le père de l'enfant, Nyong, aujourd'hui l'un des sages du village.

Lorsque le journaliste lui montre le cliché, c'est la première fois que le patriarche, comme tous les habitants du hameau, découvre la fameuse photo. Personne ne se souvient de la venue des photographes en 1993 mais ils reconnaissent le garçonnet, qui est décédé il y a quatre ans à cause de fortes fièvres, selon son père.

Aller au-delà des légendes noire des photos

C'est il y a moins de quatre mois que Alberto Rojas a été saisi de l'envie de découvrir ce qui se cachait derrière « la fillette et le vautour ».

Un nouveau débat agitait alors les rédactions espagnoles après la publication en une des grands journaux de la photo d'une femme haïtienne nue, apparemment agonisante, pour illustrer l'épidémie de choléra qui y fait rage. Elle n'était en fait pas malade.

« Comme pour Carter, on se demandait à nouveau quelles étaient les limites du regard du photographe et on les accusait de n'avoir rien fait. J'ai voulu aller au-delà de la légende noire qui entoure cette photo historique. »

Carter poursuivi par les morts qu'il avait immortalisés

A travers les témoignages des proches de Kevin Carter, Alberto Rojas a pu confirmer que le photographe ne s'est pas suicidé à cause de la photo.

Souffrant de dépression, accro à un sédatif, « il avait déjà tenté de se suicider plusieurs fois avant cette photo », lui a confié sa meilleure amie, la journaliste Judith Matloff qui n'a jamais compris pourquoi le photographe n'avait pas expliqué clairement la situation de l'enfant plutôt que de subir les attaques.

Peu avant sa mort, un ami photographe avait été tué pendant une mission en Afrique du Sud. Dans sa lettre d'adieu, Kevin Carter disait se sentir poursuivi par les morts qu'il avait immortalisés.

Illustration : capture d'écran du reportage d'Alberto Rojas sur le site d'El Mundo.

Rédigé par jeanfrisouster

Publié dans #citoyens du monde

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