Quand l'Elysée intervenait en faveur de Jean-Marc Sylvestre

Publié le 30 Janvier 2012

Augustin Scalbert | Journaliste Rue89

Ce dimanche soir, le journaliste Jean-Marc Sylvestre sera un des intervieweurs de Nicolas Sarkozy, lors l'entretien présidentiel multi-diffusé (TF1-LCI, France 2, I-Télé, BFM-TV).


Couverture de « La Voix de son maître » (Nova Editions)

Dans son livre « La voix de son maître ? France Inter et le pouvoir politique 1963-2012 », qui vient de paraître chez Nova Editions, le journaliste de Rue89 Augustin Scalbert révèle un épisode qui pose question quant à l'indépendance de Jean-Marc Sylvestre vis-à-vis de Nicolas Sarkozy.

On savait que le second, alors qu'il était ministre, avait remis les insignes d'officier de la Légion d'honneur au premier.

Ce qu'on ignorait jusqu'ici, c'est que l'ancien secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, est intervenu par deux fois, en 2008, auprès du PDG de Radio France Jean-Paul Cluzel, afin que Sylvestre soit maintenu à son poste d'éditorialiste à France Inter. En vain.

Voici l'extrait du livre concerné (intertitres et liens ont été ajoutés par la rédaction). Rue89

Docteur en économie, libéral revendiqué

Un ancien dirigeant de Radio France rapporte [...], off the record, deux coups de fil de Claude Guéant que Jean-Paul Cluzel lui a racontés. Ils portaient sur un sujet bien précis : le départ de Jean-Marc Sylvestre.

Ce journaliste économique aux yeux et cheveux clairs, qui a fêté ses 65 ans le 29 octobre 2011, a été éditorialiste dans la matinale de France Inter de 1989 à juin 2008.

Docteur en économie, Jean-Marc Sylvestre commence une carrière de professeur, entre autres à l'ESCP et à l'Essec. En parallèle, il devient journaliste et abandonne l'enseignement vers 1980.

Très prolifique, il a publié une dizaine de livres et travaillé pour autant de médias. Il présente aujourd'hui une émission quotidienne sur i-Télé.

La chaîne qui l'a rendu célèbre est TF1, avec sa filiale LCI. Libéral revendiqué, Sylvestre est l'un des deux inspirateurs – avec Sylvester Stallone – d'une des marionnettes les plus connues et récurrentes des Guignols de l'info de Canal + : le commandant Sylvestre, caricature de l'ultralibéral cynique, dominateur, mondialiste et grossier.

On relève parfois son manque de rigueur

Pendant deux décennies, le journaliste a défendu ses idées libérales sur France Inter, notamment face à Bernard Maris, un économiste keynésien autrefois proche de l'association altermondialiste Attac.

Pour ses chroniques sur la radio publique, Sylvestre a obtenu le prix Roland-Dorgelès, décerné par l'Association des écrivains combattants à des professionnels de l'audiovisuel s'étant « particulièrement distingués dans le bon usage de la langue française ».

Il est par ailleurs chevalier de l'ordre national du Mérite et officier de la Légion d'honneur, depuis que Nicolas Sarkozy l'a promu à ce grade le 14 juillet 2004.

Sur Inter comme ailleurs, Sylvestre s'est fait le héraut du libéralisme le plus débridé. Mais dans le petit monde des professionnels de l'économie, libéraux ou non, on relève parfois le manque de rigueur de ses analyses. Pour le journaliste économique Jean-François Couvrat, la chronique quotidienne de Jean-Marc Sylvestre sur France Inter était « la perle du matin ». [...]

Cluzel : « Il provoque un rejet des auditeurs »

Cependant que Sylvestre pontifie sur France Inter, Jean-Paul Cluzel estime que non, le service public de la radio n'a plus les moyens de s'offrir un tel éditorialiste. En juin 2008, il n'est donc pas reconduit pour la saison suivante.

Sylvestre est furieux, et menace d'attaquer la radio aux prud'hommes afin d'obtenir, a posteriori, la requalification de ses CDD en CDI. Les deux parties trouveront finalement un accord, assorti d'une clause de confidentialité.

Le journaliste est-il intervenu auprès de Claude Guéant ? Il dément vigoureusement, affirmant ne pas « particulièrement » connaître celui qui était à l'époque le secrétaire général de l'Elysée :

« Je l'ai croisé une ou deux fois tout au plus. Jamais je ne lui ai demandé quoi que ce soit. »

Guéant : « C'est un excellent journaliste »

Toujours est-il que Guéant se fend d'un appel à Cluzel. Assez sec, « comme il peut l'être dans ces cas-là », selon la personne à qui l'ex-PDG de Radio France a raconté l'échange suivant :

« Etes-vous sûr que c'est une bonne idée ? C'est un excellent journaliste, il est très compétent. La radio est déjà suffisamment marquée à gauche, c'est donc pas mal d'avoir un rééquilibrage à droite.

– Ce n'est pas un problème d'opinion politique, mais de vieillissement de la chronique. Le côté caricatural de Sylvestre provoque un rejet des auditeurs. Et à cause de ce côté caricatural, les idées libérales sont plutôt mal servies à l'antenne. »

Quelques jours plus tard, second appel de Guéant. Le bras droit de Nicolas Sarkozy insiste. Cluzel lui répond qu'il n'a pas choisi un chroniqueur de gauche pour le remplacer, mais un libéral moins extrême : le journaliste des Echos Dominique Seux.

Juste avant l'annonce du nouveau mode de nomination à son poste, dont il ignorait le caractère très direct, Jean-Paul Cluzel n'a donc pas cédé à la pression. L'emblème Sylvestre était vraiment trop voyant.

Infos pratiques
La Voix de son maître ?
France Inter et le pouvoir politique, 1963-2012

Une enquête d'Augustin Scalbert. Nova Editions, 284 pages, 18,25 euros.

Rédigé par jeanfrisouster

Publié dans #citoyens d'europe

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