Eric, 31 ans, psychiatre hospitalier, 3 600 euros par mois

Publié le 30 Juillet 2013

Eric, 31 ans, psychiatre hospitalier, 3 600 euros par mois

Entre son salaire à l’hôpital, ses gardes et ses remplacements en libéral, Eric gagne très bien sa vie, mais a l’impression de ne pas en profiter. Il dévoile ses comptes.

Le couloir d’un hôpital (Julen/Flickr/CC)

Il a 31 ans et il est déjà en colère. Il en a assez de cette « curée » contre les médecins. Eric (prénom d’emprunt), psychiatre non encore titulaire à l’hôpital dans une grande ville de province, nous a donc proposé de passer son porte-monnaie aux rayons X :

« A cause d’une minorité de médecins qui abusent, on jette l’opprobre sur tous les médecins, décrits comme de gros privilégiés responsables des déserts médicaux. J’ai parfois l’impression que les politiciens cherchent à nous salir pour faire passer des mesures telles que la remise en cause de la liberté d’installation. »

« Une main-d’œuvre payée moins que le smic horaire »

Sur la situation des médecins :

« Au prétexte que nos études sont “ gratuites ”, on devrait s’installer dans des déserts médicaux. Ça me fait doucement rire. Obligerait-on les énarques, les étudiants en droit, ou n’importe quel élève sortant d’un BTS ou d’une université à aller dans une région que l’Etat a lui-même désertée ?

De plus, l’inscription est peut-être minime (environ 600 euros par an à mon époque), mais à partir de la quatrième année de médecine, on fait un mi-temps à l’hôpital pour la modique somme de 200 euros par mois.

Pendant les quatre ans d’internat, on est moins bien payé qu’un ouvrier spécialisé et pour des horaires à faire mourir de fatigue un syndicaliste en trois jours. Or, sans les internes, 75% des services hospitaliers ne fonctionneraient plus. Nous sommes une main-d’œuvre qualifiée et payée moins que le smic horaire. »

Fils d’un électricien et d’une puéricultrice, il fait partie d’une « classe moyenne qui n’a jamais manqué de rien ». Il aurait dû être ingénieur s’il avait écouté ses parents.

Son goût des sciences l’a plutôt porté vers la médecine, « pour le côté humain et parce que je n’avais pas envie d’être derrière un bureau toute la journée ». Il a cravaché pendant deux années afin de décrocher le concours. Il se rappelle avoir travaillé de 8 heures à 22 heures et n’avoir pas bu une goutte d’alcool de l’année, « sauf un verre pour mon anniversaire, et j’ai été malade ! »

L’avantage est qu’il savait, une fois cette première année réussie, qu’il aurait toujours la sécurité de l’emploi, qu’il intègre la fonction publique ou pas.

Pas de blouse blanche

Eric aurait voulu être pédiatre. Mais pendant son stage dans cette spécialité, il a été rebuté par l’attitude des parents, stressés. Son passage en psychiatrie, au contraire, a été une révélation :

« Le contact et l’examen médical passent par la parole, le regard, et non plus par le corps. Certains médecins sont désorientés par cette symptomatologie différente, mais ce n’est pas parce qu’on n’a pas de blouse blanche qu’on n’est pas des “ vrais médecins ”.

Il y a beaucoup de fantasmes sur ce métier, comme l’idée qu’aller voir un psy, c’est pour les fous, qu’on va analyser tout ce que dit et fait la personne en face de nous, ou qu’on lit dans les pensées de nos patients. »

Une fois interne en psychiatrie, Eric a choisi une orientation psychothérapeutique : il a ainsi opté pour les thérapies cognitivo-comportementales (dites TCC), une formation de trois ans.

« Ce type de thérapie permet d’accompagner la personne en lui donnant les moyens de faire face seule à ses problèmes, la rendre indépendante et autonome. »

Les psychiatres, « nouveaux curés »

Eric a exclu la psychanalyse de sa formation, car il ne se voyait pas allongé sur un divan et ne trouvait « pas honnête de proposer un suivi long, dont les résultats sont plus qu’incertains ».

Il est également déçu de l’information au grand public sur les « psychothérapeutes », qui intègrent tout et n’importe quoi :

« En effet, si désormais les “ nouveaux ” psychothérapeutes doivent justifier d’une formation pour s’inscrire en tant que psychothérapeutes auprès de l’Agence régionale de santé, une grande partie des anciens n’a aucune formation en santé mentale.

Une personne en difficulté devrait vraiment consulter un psychiatre ou un psychologue en première intention et vraiment s’informer des formations que le psychothérapeute a validées. »

Il trouve que la société française est devenue trop « intolérante à la souffrance », et déplore que les psychiatres soient devenus « les nouveaux curés » :

« Il faut ainsi par exemple différencier la tristesse “ normale ” (en cas de séparation, problème...), où il n’est pas forcément nécessaire d’aller “à confesse”, de la véritable décompensation dépressive qui nécessite une prise en charge spécialisée.

Un jour, une femme est venue me voir parce son fils avait eu 10 à l’école au lieu de 14 habituellement. Son enfant n’avait que 8 ans, mais sa mère avait déjà peur de l’échec scolaire. »

Un statut bâtard et des remplacements en libéral

Une fois son internat terminé, au bout de dix ans d’études, Eric a dû faire une thèse de médecine pour être « docteur », et un mémoire pour être spécialiste en psychiatrie, puis trouver un poste à l’hôpital.

En attendant de réussir le concours de praticien hospitalier, il doit obligatoirement passer deux ans comme assistant spécialiste (en hôpital périphérique, avec une activité clinique à temps plein) ou assistant chef de clinique (en centre hospitalo-universitaire, avec la moitié du temps consacré à la fac).

Lui a choisi la première option, il y a un an. Il devrait réussir facilement le concours de praticien hospitalier car, vu la pénurie de psychiatres, on compte presque 800 postes vacants pour 300 candidats.

Son statut d’assistant est à ses yeux « bâtard » :

« On est à peine mieux payés qu’un interne alors qu’on est des médecins “thésés”. Mais au moins, ce statut permet de faire des remplacements en libéral, de découvrir cet aspect du métier. »

Eric remplace ses confrères en ville sur leur temps de vacances : il passe une vingtaine de jours par an dans un cabinet libéral, où la consultation est entre 43 euros (tarif sécu) et 55 euros (avec dépassement d’honoraires). Ça le change :

« C’est très agréable de voir des gens stabilisés avec des petites doses de médicaments et des gens qui vont “bien”. »

Idéalement, pour des raisons d’équilibre de vie et de revenus, il aimerait partager son temps entre son activité à l’hôpital et en libéral. Pour cela, deux possibilités :

  • prendre un mi-temps en ville dans un cabinet ;
  • ou être à 100% à l’hôpital en y faisant des consultations privées (limitées à 20% de son temps).

D’ici deux ans, il espère gagner environ 6 000 euros par mois (avant impôts).

Revenus : 3 580 euros par mois

Les revenus d’Eric

  • Salaire : environ 2 080 euros net par mois

Son titre d’assistant spécialiste premier échelon lui donne droit à 31 644 euros brut annuel (salaire fixé selon le Journal officiel), soit environ 2 080 euros net mensuel.

  • Gardes : 1 000 euros par mois

Une garde, c’est-à-dire une nuit ou un week-end, dure entre 12 et 24 heures, et est payée entre 200 euros et 400 euros. Eric reconnaît :

« Ce n’est pas mal, mais pour un médecin “thésé” c’est peu. En clinique, ce serait rémunéré 1 500 euros. Le vrai scandale, c’est quand un interne, donc moi il y a deux ans, fait la même garde mais touche 100 euros les douze heures, pour un travail de nuit, c’est-à-dire même pas le smic horaire... Avec, pour certaines spécialités, même pas de repos de sécurité (pourtant obligatoire sur le plan légal). »

Il en fait trois de douze heures et une de 24 heures, pour un revenu de 1 000 euros pas mois.

  • Remplacements en libéral : 500 euros par mois

Son activité de psychiatre libéral lui a rapporté 6 000 euros en 2012, pour trois semaines travaillées, soit 500 euros par mois :

« C’est intéressant pour l’instant car je ne paye pas encore la CARMF (Caisse autonome de retraite des médecins de France) car ce n’est pas mon activité principale et que je n’ai pas beaucoup de charges (les médecins que je remplace me reversent 80% de l’activité, contre 70% généralement lors des remplacements). »

Comme tous les médecins, il travaille beaucoup (et encore, la psychiatrie est considérée comme ayant des horaires « cool ») : 45 heures par semaine. Il n’a que 25 jours de vacances par an, et 15 RTT qu’il n’arrive pas à prendre.

Dépenses fixes : 1 800 euros par mois

Les dépenses fixes d’Eric

Il vivait cette année en couple avec une femme qui gagnait moitié moins que lui. Il mettait donc deux fois plus qu’elle dans les dépenses communes. Cela va changer puisqu’ils se séparent et qu’il va s’installer tout seul.

  • Loyer : 500 euros par mois

Il met 500 euros sur 800 euros pour un T3 de 70 m2 à 20 minutes à vélo du centre-ville. Son prochain budget avoisinera les 700 euros pour un grand T2.

  • Electricité : 30 euros par mois
  • Box internet (fibre optique) + téléphone fixe + forfait portable (3 heures) : 45 euros par mois
  • Frais bancaires : 15 euros par mois

Il a une carte Visa Premier dont « le montant devrait être renégocié bientôt avec le banquier ».

« J’irai peut-être dans une banque gratuite pour ne plus payer cette carte. »

  • Cinéma (carte UGC illimitée) : 20 euros par mois
  • Sport : 30 euros par mois
  • Mutuelle : 30 euros par mois

« J’ai une très bonne mutuelle professionnelle, qui me rembourse 400 euros de lunette. C’est une mutuelle de médecins qui est avantageuse car on est un groupe professionnel très peu à risques. »

  • Taxe d’habitation : 75 euros par mois (deux-tiers des 1 300 euros annuels)
  • Impôts : 280 euros par mois en 2012

Il sera à 600 euros par mois pour 2013 sur dix mois.

  • Crédit voiture : 450 euros par mois

Il se termine en 2014.

  • Assurance voiture : 70 euros par mois
  • Garantie des accidents de la vie : 10 euros par mois
  • Assurance prévoyance : 50 euros par mois

« En cas de pépin grave, si je peux plus travailler. »

  • Assurance habitation : 120 euros par an, soit 10 euros par mois environ
  • Responsabilité civile professionnelle : 10 euros par mois
  • Cotisation à l’association des TCC : 100 euros par an, soit 8 euros par mois
  • Urssaf : environ 150 euros par mois
  • Cotisation à l’Ordre des médecins : 25 euros par mois

« C’est cher pour ce à quoi ça sert. »

Dépenses variables : environ 1 200 euros par mois

Les dépenses variables d’Eric

  • Alimentation : environ 300 euros par mois environ

Il paye l’essentiel des courses, « des produits de qualité en grande surface ».

  • Restaurants et sorties : environ 300 euros par mois

Chaque mois, il s’ofrre un bon resto à environ 80 euros. Le reste du temps, c’est pizzas, kebabs ou McDo.

  • Cantine (le midi) : 4 euros le repas, soit environ 80 euros par mois
  • Essence : 150 euros environ par mois

Sa voiture est économe : il parcourt environ 2 000 km par mois et fait deux pleins.

  • Vacances : 150 euros par mois

Il dépense environ 1 800 euros par an pour deux à trois semaines de vacances l’été, et deux longs week-ends à l’étranger en mars cette année.

  • Vêtements : 50 euros par mois

« Je devrais dépenser plus mais je n’ai pas trop le temps. »

  • Cadeaux : 150 euros par mois

Epargne : 555 euros par mois

  • Assurance-vie : 230 euros par mois

Cette assurance-vie lui « servira pour la retraite (il doit y avoir 12 000/15 000 euros dessus) ».

  • Livret d’épargne : 75 euros par mois
  • Epargne pour un futur achat immobilier : 250 euros par mois

Il estime avoir 20 000 euros d’épargne immobilière.

« Je vais la casser pour compenser la hausse de mon loyer ; je chercherai un F3, mais n’ai pas trouvé un bien qui me plaise. »

Eric a « l’impression d’être un privilégié, d’être en sécurité ». Mais pourtant, il trouve qu’il « n’en profite pas tant que ça », notamment à cause de son crédit voiture, qui se termine fin 2014.

Surtout, il réalise que s’il gagne plus, il payera beaucoup plus d’impôts :

« Je vais être à 30% de taux marginal d’imposition, donc si je gagne 100 euros en plus, ça ne me fera que 70 euros en plus. »

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@Sophie Caillat : j’espère que vous avez profité du fait d’avoir un psychiatre sous la main pour vous renseigner sur l’électrosensibilité, ses causes, la façon d’accompagner les gens qui en souffre, etc., etc.

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Je suppose que c’est pour ça que vous faites le zouave hein... -_-

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