Les cellules de la division

Les cellules de la division

En signant un décret autorisant le financement de la recherche sur les cellules souches, Barack Obama s'oppose à Benoît XVI et à George Bush.

Le nouveau président américain savait-il qu'il serait aussi rapidement l'une des cibles du pape Benoît XVI?


Si je suis élu, avait-il dit durant sa campagne électorale, j'autoriserai le financement — sur fonds fédéraux américains — des recherches menées sur des lignées de cellules souches embryonnaires humaines.


Fidèle à ses engagements, il signait en grande pompe, le 9 mars à la Maison Blanche, un décret levant les interdits prononcés sur ce thème, depuis 2001, par son prédecesseur George W. Bush. Et quelques heures plus tard, le Vatican lançait ses foudres sur Barack Obama.


Qui sont les embryons humains?


Sont-ce des «personnes potentielles» ou des «potentialités de personnes»? Tout est là.

Et la question de la légitimité des recherches pouvant être menées sur des cellules souches embryonnaires humaines divise profondément la société américaine ; une société démocratique mais où les convictions religieuses individuelles sont omniprésentes dans la gestion des affaires publiques.


Cantonné depuis un quart de siècle à la problématique du caractère légitime ou non de l'interruption volontaire de grossesse ce questionnement fondamental prend une nouvelle dimension avec les derniers acquis de la biologie concernant les cellules souches embryonnaires humaines. Et une nouvelle fois aucun compromis, aucun dialogue, ne semble envisageable.


En témoignent les réactions, quelques heures après l'annonce de la signature du décret présidentiel américain, du Vatican et de l'épiscopat américain. «Triste victoire de la politique sur la science et la morale», a commenté le cardinal Justin Rigali, archevêque de Philadelphie et président de la commission pro-vie de la conférence épiscopale américaine. Pour lui, cette initiative est «moralement mauvaise car elle favorise la destruction de vies humaines innocentes, en considérant les êtres vulnérables comme de simples produits bons à être moissonnés».


Dans son édition du mardi 10 mars, l'Osservatore Romano estime qu'une « vraie démocratie » se doit d'être fondée sur la protection de la dignité humaine à chaque étape de l'existence. Et Gian Maria Vian
rédacteur en chef du quotidien du Vatican va jusqu'à expliquer que Barack Obama  «ne peut prétendre au monopole du rôle de “Bon Samaritain”, lorsqu'il dit vouloir, par la recherche sur les cellules souchesembryonnaires, venir en aide à l'humanité qui souffre».


Car si cette proposition était vraie, ne signifierait-elle pas que ceux qui s'opposent à cette recherche veulent prolonger les souffrances humaines?


Où l'on retrouve la très vieille et très grave problématique catholique du caractère rédempteur de la souffrance.


Mais le Vatican développe aussi des arguments d'un autre ordre. Ainsi Mgr Elio Sgreccia, l'un des meilleurs spécialiste de la bioéthique au Saint-Siège, estime-t-il que la décision du président américain est avant tout motivée par des raisons financières et la recherche du profit. Et d'observer, depuis le Vatican, qu'avant même l'annonce de la Maison Blanche, les actions des compagnies spécialisées dans ces recherches, comme StemCells et Geron Corp., avaient bondi en Bourse.


Dans un tel contexte, il faut attendre, avec le plus grand et le plus vif intérêt, les prochaines analyses de théologie comparée qui tenteront de faire la lumière sur ce nouveau mystère: comment deux hommes élus l'un après l'autre à la présidence des Etats-Unis et l'un et l'autre de confession chrétienne peuvent-ils prendre des décisions à ce point radicalement opposées?

La galaxie du protestantisme est-elle à ce point vaste qu'elle autoriserait une chose et son exact contraire sur un sujet à ce point essentiel?

L'initiative de Barack Obama s'inscrit aussi dans un contexte plus large: la volonté de rompre avec son prédécesseur dans le domaine scientifique comme dans les autres. Le nouveau président américain estime désormais indispensable de protéger l'activité scientifique de toutes les  considérations idéologiques ou religieuses de nature à s'opposer à son développement.


On sait que George W. Bush était ces dernières années devenu la cible de nombre de scientifiques l'accusant d'avoir fait une croix sur la recherche concernant, outre les cellules souches, l'assistance médicale à la procréation, le changement climatique, ou la quête d'énergies  renouvelables. Barack Obama a d'ores et déjà invité l'Office américain des sciences et de la technologie à réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre pour «restaurer l'intégrité scientifique du processus de décision gouvernemental».


En pratique, le décret présidentiel américain prévoit une période de quatre mois durant laquelle les Instituts nationaux américains de la santé devront élaborer de nouvelles règles sur le financement par  l'Etat de chercheurs travaillant dans ce domaine. «Nous ne prendrons jamais cette recherche à la légère, a assuré le président. Nous allons édicter des règles très strictes que nous ferons appliquer avec rigueur, parce qu'on ne peut tolérer ni détournement ni abus. Et nous veillerons à ce que notre gouvernement n'ouvre jamais la porte au clonage pour la reproduction humaine.»


La décision de Barack Obama a aussitôt été saluée avec enthousiasme par de très nombreuses personnalités de la communauté scientifique et médicale américaine qui ont une nouvelle fois rappelé toutes les applications potentielles des recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines.


En France, certains observateurs relativisent la portée de cette initiative. «La décision présidentielle américaine ne devrait pas bouleverser considérablement le développement des recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines», a ainsi déclaré au «Monde» le Pr Marc Peschanski (Istem, Généthon) qui dirige l'une des plus importantes équipes françaises investies dans ce domaine.


Plusieurs équipes américaines de renommée internationale mènent déjà des travaux grâce à des financement provenant de certains Etats, d'universités, de fondations ou du privé. Le feu vert présidentiel va en revanche fort heureusement permettre d'en finir avec la pression politique qui pesait sur les membres de ces équipes.»


Hervé Chneiweiss rédacteur en chef de la revue franco-québécoise Médecine/Sciences observe quant à lui que cette décision s'inscrit dans un contexte plus général de nouveaux engagements du gouvernement américain en faveur de la recherche médicale et scientifique. «Le plan de relance voté le 13 février comprenait 21,5 milliards de dollars pour la recherche sur le budget 2009 dont 10 milliards pour les Instituts nationaux américains qui vont s'ajouter à une base de 29,6 milliards, rappelle-t-il. C'est donc un très violent appel d'air qui va apparaître de l'autre coté de l'Atlantique (...) la nouvelle donne américaine risque d'être à l'origine de l'une des plus dramatiques fuite des cerveaux que l'on n'ait jamais vu.»


Kléber Ducé

( source slate.fr )


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