A PSA Aulnay, le retour des caisses de grève, un classique des luttes durables

Publié le 31 Mai 2013

A PSA Aulnay, le retour des caisses de grève, un classique des luttes durables

500 salariés de PSA Aulnay sont en grève depuis le 16 janvier pour protester contre la fermeture de leur usine en 2014. Pour compenser en partie leur perte de salaire, ils remplissent une caisse de solidarité. Historiquement, l’opération est classique. Mais d’une rare intensité pour l’époque.

- Manifestation des PSA d'Aulnay, le 18 mars 2013 à Paris. REUTERS/Jacky Naegelen -

Gare Saint-Lazare à Paris, les passants défilent. L’heure est au trajet, direction le boulot. Délicat pour les grévistes de PSA Aulnay-sous-Bois de capter l’attention, malgré les grands moyens: pancarte maxi format, chasuble jaune et porte-voix. Ils militent contre la suppression de 8.000 postes et la fermeture de l’usine d’Aulnay en 2014, annoncées l’été dernier par Philippe Varin, le PDG de PSA Peugeot-Citroën. «Versez dans la caisse de solidarité, nous sommes en grève depuis le 16 janvier», entonne un salarié.

Cette caisse, c’est leur trésor de guerre pour atténuer l’impact d’une fiche de paie vierge. Les grévistes d’Aulnay ne produisant plus, leur employeur n’est pas astreint à son obligation de rémunération. Le principe est le même dans le public: les journées de grève ne sont pas payées. Mais dans le privé, un accord de fin de grève peut prévoir la rémunération de tout ou partie du salaire des grévistes.

«Ça ne risque pas d’arriver à PSA, vu ce que ce conflit leur coûte. Presque aucune voiture ne sort de l’usine et ils rémunèrent en plus des cadres d’autres sites pour surveiller les salariés mobilisés», commente Sylvain Pattieu, historien qui prépare un livre sur les grévistes de PSA. Fin mars, leur cagnotte s’élevait à 290.000 euros. «Le montant est assez exceptionnel », admire Michel Pigenet, historien des mouvements sociaux.

Les caisses de grève, systématiques dès que le conflit dure

La caisse de solidarité est un outil ancien. Avant l’autorisation du droit de grève en 1864 et la légalisation des syndicats vingt ans plus tard, déjà des soutiens financiers s’organisaient clandestinement. Les caisses de grève perpétuelles sont rares. «L’organisation permanente est loin d’être une tradition du syndicalisme français», explique Michel Pigenet. Seule la CFDT dispose de sa propre réserve.

Dès que l’interruption de travail dépasse la semaine, l’ouverture d’une caisse de secours se présente comme une nécessité. C’était le cas des mineurs en 1963 et leurs 35 jours de grève, les horlogers de Lip en 1973. Ou plus récemment, la grève des McDonald en 2001 et celles pour les retraites en 2010. Et aujourd’hui, PSA.

«J’aurais aimé qu’on compense complètement les pertes de salaires. Mais, nous limitons la casse», estime Serge Fournet le président du Fonds de soutien aux salariés de l’automobile 93. Soit aider Didier, au montage depuis 17 ans, à payer son loyer. Ou David, chauffeur à PSA depuis 11 ans, dont les enfants sont âgés de 2 et 7 ans, «au remplissage du frigo».

Les ouvriers, seuls, ont récolté une part importante de cette caisse de grève. Ils traiînent leurs boîtes, destinées à recevoir quelques pièces de monnaie. «Nous avons ramassé 11.300 euros, notre record!», s’exclame Serge, lors de la manif du 5 mars. Presqu’autant que lors des actions «péages gratuits» organisées à Saint-Arnoult (10.000 euros en deux heures), deux fois plus que les 5.000 euros récoltés à Senlis, propriété de la Sanef, dont Peugeot-Citroën est actionnaire. Puis il y a eu les collectes devant Fedex, la Poste, Air France. Mais aussi les grands magasins, les gares, les hôpitaux. Partout où il y a du passage.

Leur lutte est populaire. «Plus que PSA Aulnay, c’est toute la Seine-Saint-Denis qui est touchée. Il y a les sous-traitants, les services à proximité et le chômage qui atteint déjà un taux élevé dans le département», analyse Sylvain Pattieu.

Chaque jour, l’association reçoit des dons, «allant de 5 à 1.000 euros, et venant de la France entière, mais aussi de Suisse, d’Allemagne», précise Serge. Aussi, sur le site internet du Fonds de soutien aux salariés de l’automobile 93, les internautes peuvent donner en ligne. Les municipalités où résident les travailleurs menacés participent aussi à l’effort, 17.000 euros d’aides individuelles via les CCAS, en février. Enfin, la CGT de Seine-Saint-Denis a versé 30.000 euros.

«Les moyens de collecte sont les mêmes depuis toujours, ce qui a évolué, c’est la médiatisation, Internet, qui remplace les déplacements sur les marchés à travers la France entière, comme l’avaient fait les mineurs en 1963», compare Guy Groux, directeur de recherche au Cevipof.

Dépasser la division syndicale

Depuis 1864, les caisses de grève sont souvent gérées par les syndicats. Mais à PSA, c’est le Fonds de soutien aux salariés de l’automobile 93, une association créée en octobre 2012 pour aider financièrement les ouvriers endettés, qui s’en charge. Un mode opératoire atypique qui n’étonne guère, tant la partition syndicale est forte à PSA.

«Dans cette usine, le droit syndical ne remonte qu’à 1982. Avant, la CGT et la CFDT étaient clandestines, seuls existaient officiellement les organisations maison», explique Michel Pigenet. Cet organe ad hoc est aussi un gage de non discrimination et d’égalité entre les salariés. «Sa force, c’est d’être au-dessus des syndicats. Beaucoup de grévistes sont non-syndiqués. Nous rassemblons tout le monde», dit fièrement Serge Fournet, lui-même militant à la CGT et convaincu que les syndiqués n’ont pas plus de légitimité qu’un salarié non-adhérant à diriger la mobilisation. «Il ne faut pas être naïf, tempère Stéphane Sirot, socio-historien, spécialiste de l’histoire et de la sociologie des grèves, l’extrême gauche affiche toujours une volonté d’ouverture, mais les syndicats ne sont jamais loin derrière

Les règles de partage de la cagnotte ont été votées lors d’une Assemblée générale, convoquée par le comité de grève, lui aussi indépendant des syndicats. Pour toucher une indemnité, les salariés doivent avoir participé au moins une semaine à la mobilisation. Ils perçoivent alors 80 euros. 200 euros pour quinze jours, 500 euros pour trois semaines et 800 euros pour le mois complet.

Trop peu pour Karim, qui ne pouvait se permettre de continuer.

«J’ai fait grève pendant deux semaines, mais j’ai deux enfants à charge, un crédit à rembourser et ma femme ne travaille pas

En février, sur 500 grévistes, 400 ont ainsi été indemnisés. Si l’on déduit ceux qui n’ont pas atteint la semaine minimum et ceux qui ont choisi de ne pas récupérer leur chèque, comme Karim.

«Malgré mon interruption de travail, ma fiche de paie s’élève à 1.000 euros, donc mes 200 je les laisse aux collègues qui luttent encore.»

Pour calculer le montant de leurs indemnisation, les ouvriers présentent d’abord leurs badges, estampillés d’un autocollant «gréviste», pour vérifier le pointage des jours de grève, leurs fiches de paie reçues la veille, et les aides individuelles perçues par l’intermédiaire des CCAS.

Une lutte exemplaire

Outre le soutien financier, la caisse de grève est un symbole. Elle génère un espace de solidarité autour des salariés en lutte. «Faire exister une caisse, c’est faire exister un conflit. C’est une stratégie pour le faire durer et rassembler l’opinion publique autour d’une cause sociale», explique Stéphane Sirot. Le socio-historien note aussi que le conflit à PSA est atypique par rapport aux mouvements sociaux contemporains. Depuis les années 1950, la grève vivait son troisième âge, comme le définit l’auteur dans La grève en France, une histoire sociale, XIXe - XXe siècle (Odile Jacob, 2002). La tendance était alors au débrayage: arrêts de travail de quelques heures, ou journées de mobilisation ponctuelles comme pour les retraites de 1995. Contraste. A PSA, la grève actuelle est intense, fédératrice. Et surtout, sans interruption.

Michel Pigenet la décrit comme une «lutte exemplaire, une lutte emblématique des relations actuelles entre direction et salariat. Le rapport des forces sociales n’est plus en faveur des travailleurs».

Pour la caisse du mois de mars, Serge est confiant.

«Chaque matin, en AG, nous votons la reconduction de la grève. 250 salariés, sur 2.800 à Aulnay, sont vraiment déterminés. La collecte se poursuit, les collectivités nous ont promis 100.000 euros de subventions

Et ça irrite certains. «Ces aides publiques sont illégales. Les collectivités ont un devoir de neutralité lors d’un conflit social. Elles n’ont qu’à augmenter leurs subventions pour les CCAS qui redistribueront aux grévistes», s’insurge Claude Jaillet, responsable de l’association de contribuables à Drancy, qui s’appuie sur une contribution similaire, annulée en 2008, à Saint-Denis.

Son association a porté réclamation auprès du préfet de Seine-Saint-Denis. Elle espère la saisine du tribunal administratif en référé afin d’annuler la délibération du conseil municipal octroyant 5.000 euros de subvention à la caisse de solidarité de PSA Aulnay. Elles pourraient contraindre les grévistes à rembourser les sommes allouées par les municipalités.

Auteur Léonie Place

Outre la caisse de grève, effectivement remarquable, ils ont également des ressorts musicaux originaux :

http://rupturetranquille.over-blog.com/article-psa-politique-au-service-des-actionnaires-rap-115365285.html

Rédigé par jeanfrisousteroverblog

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