Ribéry, guerre de transferts

Publié le 21 Avril 2009

L’agent du joueur doit rembourser des commissions qu’il avait empochées.


RENAUD LECADRE pour libération.fr

Pape Diouf n’a pas le temps de buller ( Ribery foot Marseille OM )

De Metz à Galatasaray, de Galatasaray à Marseille, puis de Marseille à Munich, le parcours de la star française illustre les mœurs du milieu. Franck Ribéry a changé de clubs mais aussi d’agent, passant dans l’écurie d’Alain Migliaccio, l’homme qui tient le football français.

La semaine dernière, Ribéry a envoyé un huissier au Luxembourg, au domicile de son ancien agent, Bruno Heiderscheid. Le footballeur veut faire exécuter une sentence arbitrale ayant condamné son ancien agent à lui restituer 340 000 euros. Lequel a contre-attaqué en portant plainte au pénal pour escroquerie. Cette nouvelle affaire de gros sous pourrait faire mal, à l’OM comme aux autorités du foot français. Les transferts successifs de Ribéry ont permis à l’OM de réaliser la plus belle culbute financière depuis longtemps : acheté zéro, revendu 30 millions d’euros. La lutte pour le pactole n’en est que plus âpre. Revue des principaux coups bas.


Entre Bosphore et Canebière


Ribéry n’aura joué que 17 matchs en Turquie. Prêté par Metz en février 2005, il résilie son contrat avec Galatasaray en juin. Réussir à casser un contrat en cours est rarissime. Ce fut le boulot de Heiderscheid, agent de Ribéry, prétextant des retards de salaires. Puis offrant gratuitement le joueur à l’OM. La commission de l’agent pouvant atteindre 10 % d’un transfert, Heiderscheid ne touche donc rien sur ce coup-là, percevant «seulement» 10 % des salaires versés par l’OM à Ribéry, qu’il renégocie plusieurs fois à la hausse, de 80 000 à 220 000 euros par mois. L’agent espère surtout réussir le banco lors de la revente de Ribéry à un autre club. Sauf qu’en mai 2007, quelques jours avant de signer à Munich, Ribéry se sépare de son agent et deale avec deux personnalités du foot business, Jean-Pierre Bernès et Alain Migliaccio. Ce sont eux qui empochent la commission bavaroise.


On refait le transfert


Furieux de s’être fait griller dans la dernière ligne droite, Heiderscheid a multiplié les procédures judiciaires. D’où il ressort que l’OM aurait franchi la ligne jaune. En théorie, un club n’a pas le droit de débaucher un joueur encore sous contrat avec un autre club, sous peine d’interdiction de recrutement pendant deux ans. En pratique, il suffit de ne pas se faire prendre.

En recrutant Ribéry, Marseille s’accroche à cette chronologie : le 13 juin 2005, il résilie son contrat avec Galatasaray ; le 14, il entame des négociations avec l’OM ; le 15, il signe son contrat sur la Canebière. L’OM a déjà eu l’occasion de rejeter officiellement l’accusation de débauchage : «A court d’arguments, Galatasaray crée de toutes pièces un scénario dont le fondement se trouve dans des articles de presse qui ne peuvent être retenus comme un commencement de preuve.»

De fait, les journaux sportifs bruissaient depuis plusieurs jours sur le transfert. Mais il y a mieux que des articles, une attestation de Ribéry en personne. Signée en novembre 2005 et désormais aux mains de la justice : «Je soussigné Franck Ribéry, atteste que monsieur Pape Diouf, président de l’Olympique de Marseille, m’a appelé à plusieurs reprises en mai et juin 2005 ainsi que mon agent, pour me convaincre de signer avec l’OM tout en me promettant une prime de 500 000 euros si je rompais mon contrat, c’est-à-dire si l’OM ne devait pas payer d’indemnité de transfert.» Et cette lettre écrite à Diouf le 7 juin 2005, en pleine négociation : «Suite à vos derniers appels téléphoniques, je vous confirme mon accord pour rompre mon contrat avec le Galatasaray et signer en faveur de votre club aux conditions proposées, tant sur le salaire que sur la prime de 500 000 euros.» A moins que l’OM ne prétende qu’il s’agit d’un faux, voila le club en fâcheuse posture.


Zidane en rabatteur


La scène est entrée dans la mythologie du football français : le 12 juin 2006, veille du premier match des Bleus en Coupe du monde face à la Suisse, Zinédine Zidane et Franck Ribéry trottinent seuls sur la pelouse du Gottlieb-Daimler Stadion de Stuttgart. Le père et le fils, déclinaison pour les photographes des propos tenus par le maestro vingt minutes plus tôt : «Ribéry est mon successeur. Il respire la joie de vivre. Il marquera les esprits.» L’OPA est lancée : quelques mois plus tard, Franck Ribéry lâche son agent pour filer avec celui du maître, Alain Migliaccio. Hasard ? Tous les agents racontent à peu près la même chose : quand Bernès et Migliaccio veulent un joueur, Zidane joue à la fois le poisson-pilote et le VRP. On l’a entendu sur Samir Nasri au printemps 2007 : «Il joue tranquille, comme s’il disputait un match de quartier», et hop, l’international glisse chez Migliaccio. Quand l’avis du maître ne suffit pas, son pote Christophe Dugarry, commentateur sur Canal + et chroniqueur dans l’Equipe, assure l’écho. Zidane et Dugarry émettent à intervalles réguliers des réserves sur Karim Benzema, qui échappe jusqu’ici à Migliaccio. Réponse millimétrée du joueur lyonnais dans l’Equipe magazine : «J’ai déjà un agent avec lequel je suis très bien. Ce n’est pas la peine de demander à des gens de me déstabiliser car, avec moi, ça ne marche pas.»«Maintenant, je ne suis pas sûr qu’au fond de lui, Zidane pense ça de moi.» Le jour où Benzema voudra signer au Real Madrid, gageons que tout ce beau monde se réconciliera : Migliaccio et Zidane ont les clefs du club merengue.

 

Haro sur l’arbitre


Avant d’en arriver à un tel déballage, le tribunal arbitral du sport, basé à Lausanne, s’était prononcé à deux reprises sur le cas Ribéry, en lui donnant deux fois raison. En avril 2007, saisi par Galatasaray, il valide la résiliation de son contrat club pour retard de paiements ; en avril 2008, saisi par Heiderscheid, il valide la résiliation par Ribéry de son contrat d’agent. Sauf qu’un des arbitres présent aux deux procédures, l’avocat français Jean-Jacques Bertrand, paraît avoir jugé tout et son contraire. Dans la première sentence, il estime que «M. Heiderscheid est incontestablement l’agent du joueur». Dans le second, il proclame que «M. Heiderscheid ne peut justifier d’une autorisation d’exercer la profession d’agent» en raison d’une ancienne condamnation pénale pour banqueroute. Le règlement Fifa sur les agents le proclame sans rire : ils doivent être «de réputation parfaite», à savoir si «aucune peine n’a été prononcée» contre eux. Et celui de la Fédération française de football précise : «S’il n’a pas fait l’objet d’une condamnation figurant au bulletin numéro 2 du casier judiciaire.»

Heiderscheid plaide une «erreur de jeunesse». Comme le reconnaît lui-même Jean Lapeyre, directeur juridique de la Fédération chargé de la tutelle des agents, dans un courrier de janvier 2008 à Bruno Heiderscheid, «nous avons constaté que vos casiers judiciaires français et luxembourgeois étaient vierges et que vous ne vous trouviez pas sous le coup d’une suspension qui interdirait l’exercice de votre activité d’agent».

Curieusement, Me Bertrand a refusé d’accepter cette pièce communiquée par Heiderscheid dans la dernière ligne droite de l’arbitrage. Par contre, il a accepté de joindre un précédent courrier du même Lapeyre, écrit deux mois plus tôt à l’avocat de Ribéry, dans lequel il estime «évident que s’il devait avoir subi par le passé des condamnations, la FFF serait amenée à refuser la délivrance de la licence». Emporté par sa volonté de donner raison à Ribéry, l’arbitre a condamné l’agent à rembourser le joueur, alors que ses commissions avaient été versées indirectement par le club. Mais l’OM n’a pas eu le cœur de lui réclamer.


Que fait la police du foot ?


Tout le monde ricane. Bruno Heiderscheid, évincé au nom d’une veille condamnation, remplacé par Jean-Pierre Bernès et Alain Migliaccio, condamnés en 1998 dans l’affaire des comptes de l’OM. Bernès a eu sa licence en 1999 pour service rendu à la patrie du foot - avoir témoigné à charge contre Bernard Tapie. Migliaccio, agent de l’intouchable Zidane, l’est devenu à son tour.

«Nous ne pouvons pas faire feu de tout bois et supposer des comportements illégaux sans avoir en notre possession des débuts de preuves», s’énervait Lapeyre dans un courrier à Heiderscheid qui lui demandait de prendre des sanctions contre Migliaccio : «Des coupures de presse suffisent rarement.» Mais dans l’affaire des comptes de l’OM, impossible de se retrancher derrière le manque de sérieux des journalistes: la Fédération et la Ligue étaient parties civiles, avec accès direct au dossier.

Rédigé par jeanfrisouster

Publié dans #citoyens du monde

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