Nucléaire : quelle réponse à Téhéran ?

Publié le 22 Octobre 2009

Pour formuler une réponse commune au défi iranien, les pays occidentaux doivent convaincre Moscou et surtout Pékin qu'il faut imposer de nouvelles sanctions sans tergiverser. Chose difficile, surtout dans le cas de la Chine, que des intérêts économiques lient étroitement au régime iranien.


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Par Yann Mens, rédacteur en chef d'Alternatives Internationales

Une fois encore, l'Iran est pris la main dans le pot d'uranium. Mais cette fois, il a certes essayé de devancer les critiques en révélant lui-même précipitamment à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) la construction d'une deuxième usine d'enrichissement d'uranium, près de la ville de Qom (voir carte). En 2002, c'est un mouvement  d'opposition armée qui avait révélé que Téhéran poursuivait un programme nucléaire clandestin d'enrichissement d'uranium ; les autorités iraniennes avaient fini par le reconnaître devant la communauté internationale. Cette fois-ci, Téhéran a pris les devants en clamant son innocence.

Il fait peu de doute cependant que Téhéran a, une nouvelle fois, tenté de dissimuler certaines de ses activités nucléaires. Les services de renseignement occidentaux enquêtent depuis des années sur les installations de Qom et les informations qu'ils avaient recueillies devaient éventuellement servir lors des négociations entre l'Iran et les cinq pays membres du Conseil de Sécurité de l'ONU (plus l'Allemagne), prévues pour le 1er octobre prochain. Téhéran l'ayant appris a décidé d'informer discrètement l'AIEA l'AIEA le 21 septembre dernier pour éviter d'être placée devant ses contradictions. Ce qui a précipité  la déclaration publique de Barack Obama, de Gordon Brown et de Nicolas Sarkozy sur le sujet cinq jours plus tard.

Explications peu crédibles

Si le site de Qom est à usage civil, comme le prétend l'Iran, pourquoi vouloir le dissimuler à la communauté internationale ? Pour sa défense, Téhéran avance des arguments juridiques peu crédibles. L'Iran affirme que les accords de garantie qu'il a conclus avec l'AIEA pour l'inspection de ses installations ne l'obligent pas à déclarer l'existence d'un nouveau site que 180 jours avant d'y introduire de l'uranium. Mais ce faisant, Téhéran se réfère à une version caduque des arrangements subsidiaires qui précisent les conditions d'application des accords de garantie. Or l'Iran a avalisé en 2003 une version plus récente des dits arrangements qui imposent d'informer l'AIEA dès le projet de construction d'une nouvelle installation, même si Téhéran a en 2007 unilatéralement suspendu ce nouvel arrangement [1] .

L'existence du site de Qom tend donc à confirmer que l'Iran poursuit un programme à visée militaire et pas seulement civil. Les experts des questions nucléaires s'accordent en effet à dire que les 3000 centrifugeuses du site ne sont pas suffisantes pour des activités nucléaires purement civiles, mais qu'elles pourraient en revanche servir à enrichir de l'uranium utilisable dans une bombe.

Certes, poursuivre un programme à visée militaire ne signifie pas forcément que Téhéran soit d'ores et déjà en train de fabriquer une bombe ; les autorités iraniennes pourraient simplement vouloir arriver jusqu'au stade où elles en seraient capables si elles le jugeaient nécessaire pour la sécurité du pays. D'autre part, il ne suffit pas de posséder de l'uranium hautement enrichi pour concocter une bombe ; encore faut-il mettre au point une tête nucléaire suffisamment petite pour la monter sur un missile. Or bien sûr, les Iraniens protègent très soigneusement le secret qui entoure leurs éventuelles recherches dans ce domaine. Ce qu'ils ne peuvent pas dissimuler en revanche, c'est leur programme de missiles balistiques : ils y travaillent activement, comme le montre le nouvel essai du missile Shahab-3, effectué le 28 septembre : la portée du missile pourrait être de 2000 kilomètres. Il serait donc capable de toucher Israël.

Sanctions, une arme à double tranchant

Quelle peut être aujourd'hui la réponse du Conseil de Sécurité qui a déjà voté des sanctions contre l'Iran en 2006, 2007, 2008 ? Les révélations ont poussé les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la France à brandir la menace d'une nouvelles vague de sanctions  en cas d'échec des négociations du 1er octobre. Mais il n'est pas sûr qu'ils parviennent à convaincre les deux autres membres permanents du Conseil : si la Russie n'écarte pas cette hypothèse, la Chine s'est montrée bien plus réservée.

Une information parue dans le Financial Times le 22 septembre a en outre jeté une nouvelle lumière sur les étroites relations entre Téhéran et Pékin. Si la Chine est depuis plusieurs années l'un des principaux importateurs d'hydrocarbures iraniens, elle fournirait dorénavant à l'Iran un tiers du pétrole raffiné dont il a besoin. En effet, bien qu'il soit l'un des principaux exportateurs de brut du monde, l'Iran est incapable de raffiner suffisamment d'or noir pour assurer ses propres besoins. Le pays importe donc environ 40% de sa consommation domestique, et la Chine semble en passe de remplacer les firmes occidentales et indiennes dans le rôle du principal fournisseur. Or l'importation de pétrole raffiné est justement l'un des secteurs iraniens cité comme pouvant faire l'objet de sanctions.

Des sanctions contre ce secteur sensible constitueraient cependant une arme à double tranchant. Certes  en juin 2007, lorsque le président Mahmoud Ahmadinejad avait voulu augmenter le prix de l'essence à la pompe (très subventionnée et qui pèse lourdement sur le budget de l'Etat iranien), des émeutes violentes avaient secoué les villes iraniennes. Mais si demain, en raison des activités nucléaires du pays, c'était le Conseil de Sécurité qui coupait l'essence aux Iraniens, contre qui se dirigerait la colère du peuple : contre le gouvernement ou contre les puissances étrangères ? Mahmoud Ahmadinejad, dont le pouvoir reste contesté depuis sa réélection frauduleuse du 12 juin dernier, peut espérer qu'une action trop brutale des puissances occidentales souderait la population autour du régime. Et qu'elle nuirait du même coup à ses opposants réformateurs qu'il accuse régulièrement de complicité avec les ennemis du pays.

Les membres du Conseil de Sécurité sont conscients du risque ; d'où leur préférence pour des sanctions financières ciblées, visant uniquement les cercles du pouvoir. Las, jusqu'ici, cette politique n'a pas fait plier le régime dans le dossier nucléaire [2] . Et de toute façon, elle n'est possible qu'avec le soutien, au moins tacite, de la Russie et de la Chine. C'est pourquoi les responsables occidentaux vont s'efforcer dans les jours qui viennent de convaincre ces deuw pays qu'au vu des révélations sur le site de Qom, il faut agir sans plus tergiverser. S'ils y parviennent, il leur restera à trouver ensemble des sanctions efficaces et suffisamment ciblées.

Dans le même temps, l'existence du site de Qom, même s'il est en construction, renforce la position de ceux qui, en Israël notamment, estiment qu'il est vain de négocier avec Téhéran et qu'il faut une réponse militaire, sous la forme de frappes aériennes, pour au moins retarder le programme nucléaire iranien de plusieurs années, dans l'espoir que le régime de Téhéran finira par tomber et que son successeur renoncera à ses projets nucléaires militaires. Ce qui n'est pas garanti. Les conséquences politiques de telles frappes sont incalculables, mais elles risqueraient évidemment d'embraser le Proche et le Moyen Orient. Raison pour laquelle, sans exclure absolument l'option militaire, les grandes puissances occidentales continuent de chercher désespérément des sanctions qui puissent faire plier Téhéran.

 

Notes

(1) Le fait que Téhéran ait suspendu unilatéralement ce nouvel arrangement en 2007 n'y change rien ; voir Iran Violated International Obligations on Qom Facility, par James M. Acton, Carnegie Endowment for International Peace, 25 septembre 2009  <

 (2) -« Iran, les durs à la manœuvre », par Shahram Chubin, Alternatives Internationales n°44, septembre 2009  <

 

 

Auteur Yann Mens alternaives-économiques.fr

Rédigé par jeanfrisouster

Publié dans #citoyens du monde

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