Pourquoi le mouvement des « Indignés » ne prend pas en France

Publié le 6 Novembre 2011

 

Au pays de Stéphane Hessel 04/11/2011

 

Auteur  Zineb Dryef
Journaliste Rue89
 

Les « Indignés », qui tentent d'occuper La Défense à Paris depuis vendredi, peinent à rassembler en France. Cinq raisons à cette faible mobilisation.

Le 15 octobre, ils n'étaient que 500 à défiler dans les rues de la capitale contre 500 000 à Madrid et quelques dizaines de milliers à Rome. Plusieurs raisons expliquent la faible mobilisation française.

Vidéo de promotion du mouvement « Occupons La Défense »
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L'approche de la présidentielle

 

Pour expliquer la désertion des rassemblements d'indignés – de 3 000 au plus fort de la mobilisation au mois de mai à 500 aujourd'hui –, les spécialistes s'accordent à dire qu'à six mois de la présidentielle, les Français croient davantage au changement par les urnes.

Cette « échéance politique importante peut capter une part du mécontentement », estime le professeur d'anthropologie à Paris-VIII Alain Bertho, considérant que le discours de certains hommes politiques français porte les idées des « Indignés ».

N'ayant pas exercé de responsabilités depuis 2001, la gauche du Front de Gauche, des Verts et même des socialistes, avec la démondialisation d'Arnaud Montebourg, parviennent encore à canaliser l'« indignation » de la population alors qu'en Espagne ou en Grèce, la gauche s'est discréditée, estime le sociologue Michel Wieviorka :

« La gauche espagnole ne semble pas capable de se remettre de l'échec cuisant de Zapatero, celle de la Grèce, également au pouvoir, a frôlé la catastrophe. On voit mal quelle opposition, et avec quel leadership, pourrait constituer une alternative crédible à Netanyahou, Berlusconi ou David Cameron. »

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La situation économique

 

Un chômage des jeunes diplômés massif en Espagne et en Italie, une perspective d'austérité interminable en Grèce... Face à ses voisins du Sud, la France semble se porter pas trop mal.

En Espagne, le taux de chômage des jeunes atteint 45%. La Grèce compte 20% de chômage. La sociologue Monique Dagnaud relève que « si le taux de chômage moyen des moins de 25 ans est assez élevé en France (22,9% en 2009 contre 16,7% dans les pays de l'OCDE dont 11% en Allemagne, 18,9% au Royaume-Uni et 25,4% en Italie) », il concerne essentiellement les jeunes les moins qualifiés ».

En France, la majorité des diplômés – plus de 85% – trouvent un emploi trois ans après avoir décroché un diplôme (du BTS au doctorat). Selon Monique Dagnaud, l'atonie de la jeunesse française peut s'expliquer par le sentiment de justice que procure un emploi :

« L'indignation est à son comble lorsqu'on a effectué des efforts et des sacrifices financiers pour obtenir un diplôme et que celui-ci ne procure pas de débouché. Elle entremêle la stupéfaction, le sentiment d'un énorme gâchis, l'angoisse du déclassement, et pire encore, l'effroi devant ce qui s'esquisse comme un “no future”. »

Un jeune « Indigné » ne désespère pas :

« Il n'y a pas d'éclatement de la misère en France mais quelque chose est en train de se passer, quelque chose est en train de devenir insupportable. La situation dégénère : la prise d'otage à Pôle emploi, les immolations, le nouveau plan d'austérité... Ça va bouger. »

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Le flou des revendications des « Indignés »

 

En France comme ailleurs, les « Indignés » ne mènent pas une lutte mais une multitude de combats. Pourtant, chaque jeunesse a son mot d'ordre. Emploi en Espagne, logement en Israël, espérance en Grèce, dénonciation du système financier à Wall Street...

D'abord initié par des Espagnols résidant à Paris, le mouvement des « Indignés » en France – aujourd'hui à sa 148e manifestation (AG comprises) – peine à rassembler autour d'un mot d'ordre. Dénonciation du système financier et des inégalités, aspiration à un monde meilleur... C'est le grand flou.

Benjamin, un « Indigné » parisien de 27 ans, croit au contraire qu'il est important de ne pas porter un seul combat :

« On est dans la convergence des luttes, on veut être partout. En France, c'est rendu difficile par l'atomisation du mouvement social. Pour le logement, un étudiant ira chez Jeudi Noir, une mama africaine au DAL, les SDF ailleurs... Cette richesse est un avantage mais il faut réussir à s'unir. »

Reprenant le « Nous sommes les 99%, nous refusons que le 1% décide de notre avenir » qui fait le succès des « Indignés » de Wall Street, les Français ont revu leur stratégie. Depuis début novembre, ils se rassemblent à La Défense, symbolisant davantage le capitalisme financier que la vieille Bastille – (et moins central). Dans un manifeste, ils revendiquent :

« Unis d'une seule voix, nous allons faire savoir aux politiciens qui ne nous représentent pas, et à l'oligarchie financière qu'ils servent, que c'est à nous, le peuple, de décider de notre avenir. Nous ne sommes pas des marchandises entre leurs mains, ni entre celles des banquiers. »


Une pancarte « Nous n'avons pas élu ces traders qui nous gouvernent » lors de la manifestation des « Indignés » à Paris, le 15 octobre 2011 (Sébastien Leban)

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Le poids des partis et des syndicats

 

Traditionnellement, les luttes sociales en France sont structurées et encadrées par les partis et les syndicats. Les derniers combats importants de la jeunesse – la lutte contre le CPE ou contre la réforme des retraites – ont été organisés et soutenus par les syndicats lycéens ou professionnels.

Si les Verts et le Front de Gauche ont témoigné leur soutien au mouvement, « il n'est pas question d'être récupérés, c'est un mouvement plus large », justifie un « Indigné ».

La question divise au sein du noyau dur des « Indignés » français – une centaine de personnes. L'une d'entre elles, Delia Fernandez, nuance dans les colonnes de Libération : « Nous allons dorénavant essayer d'arrondir les angles. »

Le DAL et Attac sont désormais associés à certaines manifestations.

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La répression policière

 

Plusieurs participants, bien-sûr, considèrent que la faiblesse du mouvement est liée à l'« intense répression policière ». Depuis le mois de mai, les forces de l'ordre empêchent les rassemblements. Ce printemps, il était courant de croiser plus de policiers que de manifestants place de la Bastille.

Onze participants aux manifestations ont ainsi été poursuivis pour avoir « décollé » (involontairement) une vitre dans le fourgon de police dans lequel ils ont été embarqués le 19 septembre dernier, après un rassemblement.

En Espagne, pourtant, c'est justement l'ampleur que prenaient quotidiennement les manifestations qui a poussé la police à laisser s'installer le campement à la Puerta del Sol.

Rédigé par jeanfrisouster

Publié dans #citoyens du monde

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