L'offensive de l'UMP contre la justice

Publié le 13 Mai 2013

L'offensive de l'UMP contre la justice

Auteur Samuel Laurent , pour Lemonde.fr

Ils sont cent cinq députés UMP à avoir signé un appel de soutien à leur collègue Henri Guaino, visé par une enquête préliminaire pour ses propos accusant le juge Jean-Michel Gentil d'avoir "déshonoré la justice" en mettant en examen Nicolas Sarkozy. Si les signataires sont plutôt proches de Jean-François Copé, cet appel, demandant à Christiane Taubira de rendre public un rapport sur les conditions de la décision de mise en examen du chef de l'Etat, a réuni une moitié du groupe parlementaire. Un nouvel épisode dans la longue et conflictuelle relation entre l'UMP et le monde judiciaire.

UNE THÉMATIQUE ANCIENNE

La justice constitue une cible de choix pour le parti de droite, depuis près d'une décennie. Tout au long de son parcours de l'intérieur vers l'Elysée, Nicolas Sarkozy a su jouer sur cette corde, à laquelle l'électorat de droite est sensible. En 2005, l'affaire du meurtre de Nelly Crémel l'amenait à estimer que "le juge" responsable du placement d'un des assassins présumés en liberté conditionnelle devait "payer pour sa faute". L'année suivante, en 2006, M. Sarkozy s'en prenait aux "juges laxistes du tribunal de Bobigny".

Des peines plancher aux jurés populaires en correctionnelle en passant par la rétention de sûreté, le quinquennat Sarkozy ne fut pas marqué non plus par la cordialité à l'égard du monde judiciaire. Un monde régulièrement accusé d'être trop "laxiste" à l'égard de la délinquance, mais aussi de ne pas être objectif dans son traitement de certaines affaires politico-financières, notamment le dossier Bettencourt. Le secrétaire national de l'UMP Bruno Beschizza dénonçait ainsi, fin août 2011, "le combat politique" de certains anciens juges, visant par là Isabelle Prévost-Deprez, magistrate qui travaillait alors sur cette affaire. Durant la campagne, M. Sarkozy critiquait "l'angélisme" et appelait à réformer les remises de peine. Mais le ton était moins acerbe à l'égard des magistrats.

Lire : Les juges, boucs émissaires de Nicolas Sarkozy

L'UMP EN POINTE POUR DÉNONCER LE "MUR DES CONS"

Depuis sa défaite, pourtant, le parti de l'ancien chef de l'Etat semble avoir repris cette antienne des attaques contre les juges et la justice. La fameuse affaire du "mur des cons" du local de l'Union syndicale des magistrats, formation plutôt considérée "à gauche", en est l'illustration. En quelques jours, plusieurs "ténors" du parti d'opposition sont montés au créneau.

Chef de file de l'UMP à l'Assemblée, Christian Jacob a ainsi écrit à François Hollande pour dénoncer un "manquement grave au principe d'impartialité de la justice", Thierry Mariani parlant pour sa part de "mur des cons... pirations" et d'un "aveu cinglant de collusion entre le pouvoir politique et le pouvoir judiciaire". Même verve chez Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, coanimateurs du courant "droite forte", qui évoquent une "police de la pensée partout, justice indépendante nulle part", et proposent d'interdire aux juges de se syndiquer.

L'UMP s'est également mobilisée pour défendre le journaliste de France 3 qui avait filmé les images du fameux "mur des cons", menacé de sanctions, certains militants appelant ainsi à un rassemblement, mardi 14 mai, devant le siège de France Télévisions. Et Jean-François Copé a également beaucoup exploité ce filon, parlant dans un discours de "printemps des cons" contre M. Hollande.

LA "PARTIALITÉ" DES JUGES CONTRE NICOLAS SARKOZY

Autre motif de conflit contre les juges : l'"acharnement" dont ils feraient montre à l'endroit de M. Sarkozy. Henri Guaino, ex-plume présidentielle, a ainsi multiplié les propos provocateurs, accusant le juge Gentil d'avoir "sali la France en direct et devant le monde entier" en mettant en examen Nicolas Sarkozy. Des propos qui ont poussé le juge à porter plainte, ce qui a déclenché cette pétition de soutien de la part des parlementaires de l'opposition, une première.

Henri Guaino n'est pas le seul à nourrir publiquement des soupçons autour de l'impartialité des juges. Brice Hortefeux, à la suite de cette mise en examen, parlait lui "d'acharnement de quelques-uns". Nadine Morano, ancienne ministre, assurait au Monde, le 2 mai, à propos d'une autre affaire, celle des versements suspects sur les comptes de Claude Guéant, que "le but reste d'atteindre Nicolas Sarkozy. A chaque fois qu'un bon sondage sort sur lui, il y a une perquisition ou une affaire qui apparaît sur un de ses proches. Comme il craint Nicolas Sarkozy, je me demande si François Hollande n'est pas tenté d'appuyer sur des boutons." Même avis chez Thierry Mariani : "En touchant les proches de Nicolas Sarkozy, on cherche à atteindre la cible ultime : Nicolas Sarkozy."

LE "LAXISME" DE CHRISTIANE TAUBIRA

De manière plus générale, la thématique du "laxisme" des juges et de la garde des sceaux est assez récurrente à l'UMP depuis la défaite de M. Sarkozy. Le parti y a consacré des dizaines de communiqué, dénonçant dès le 30 mai 2012 le choix d'une ministre synonyme "du laxisme et de la culture de l'excuse", accusant le 8 juin la gauche de s'apprêter à légaliser le cannabis, et fustigeant de manière régulière "l'explosion" de la délinquance depuis l'arrivée de la gauche au pouvoir, un phénomène démenti par les chiffres.

Le "laxisme de Mme Taubira" est également critiqué très régulièrement, par exemple lorsque les représentants UMP ne sont pas entendus durant des auditions autour de la récidive, mais aussi à propos des propositions issues de ces auditions, ou encore lorsque le gouvernement annonce souhaiter mettre fin aux peines plancher, ou aux jurés populaires en correctionnelle, voire en marge de faits divers comme la tuerie d'Echirolles.

COLLER À LA BASE

Cette critique forte de la justice et des juges répond à la "base militante" de l'UMP, sensible à cette thématique "travaillée" par le parti depuis des années. L'UMP collabore ainsi régulièrement avec "l'Institut pour la justice", association controversée de victimes qui milite pour plus de sévérité judiciaire, et qui se félicitait début avril de voir ses propositions reprises dans le programme du parti.

Ce même institut a commandé en mars un sondage sur les attentes des Français en matière de justice, qui montrait le durcissement de l'opinion de droite sur la question. Ainsi, 86 % des sympathisants de droite étaient favorables au maintien ou au renforcement des peines plancher (contre 77 % sur le total des personnes interrogées), 80 % à la mise en place de 20 000 places de prison supplémentaires (70 % sur le total), et 82 % pour une justice "plus ferme envers les délinquants mineurs", contre 66 % de l'échantillon total.

Samuel Laurent

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Rédigé par jeanfrisousteroverblog

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