Foot : vivement la Crise !

Publié le 20 Avril 2009

Par Antidote. Les journalistes sportifs, si prompts à critiquer le bouclier fiscal, sont les premiers à se plaindre des impôts payés par les joueurs et de la fiscalité qui handicape le foot français. Petit plaidoyer contre les tartuffes en short et chaussures à crampons.


(photo fuzzcat-flickr-cc)
(photo fuzzcat-flickr-cc)

Le concert des pleureuses a repris. L’absence de la moindre équipe française au stade des demi-finales des coupes d’Europe n’a pas manqué de susciter les plaintes et trépignements de présidents de clubs et journalistes spécialisés réunis sur la question récurrente de la fiscalité-qui-handicape-le-foot-français.
Ainsi l’ineffable Jean-Michel Aulas, qui préside aux destinées de l’Olympique lyonnais, est-il venu chouiner à la télé pour dire à quel point c’était la fiscalité française qui était responsable de l’élimination de son club et surtout pas ses choix (1), qui par nature, ne peuvent être qu’éclairés. Les journalistes sportifs ne sont pas en reste, et n’ont pas peur d’ânonner le catéchisme de Saint-Jean-Michel, à l’instar du sémillant Saccomano. Arrêtons-nous un instant sur ce cas typique (2), qui hurle chaque matin sa bonne conscience de gôôôche, fustigeant les patrons voyous, et qui réclame le soir une fiscalité allégée pour des gamins en culotte courte. Un bouclier fiscal renforcé pour les footeux, en quelque sorte.

Ces deux premiers paragraphes lus, le lecteur pensera que je n’aime pas le foot. Il se trompera. Car, le foot est ma passion, à telle enseigne que le pied me démange même lorsque j’écris à son propos. C’est dire si je suis un fondu. Mais adorer le ballon rond ne dispense pas d’avoir une cervelle et un peu de bon sens, lesquelles permettent d’être doté de cohérence. Ainsi équipé, on ne peut pas écrire qu’on est opposé au bouclier fiscal de Nicolas Sarkozy puis se plaindre qu’on prélève autant sur le salaire de Benzema, Gourcuff ou Mandanda (3). Je ne suis certes pas insensible au fait que la carrière d’un joueur de football de Ligue 2 - d’un club de bas de tableau - ne dure pas souvent davantage que trois ou quatre ans en moyenne et qu’il est taxé au prix fort sur les 10 000 euros qu’il gagne par mois. Pour celui-ci, il ne serait sans doute pas inutile de créer des systèmes de crédits d’impôts en vue de formation et future reconversion. Mais le joueur de Dijon ou de Reims n’intéresse ni Aulas, ni Saccomano. Ce qui scandalise ces messieurs, c’est qu’on ne pourra pas garder Benzema à cause de notre fiscalité confiscatoire, adjectif favori des chroniqueurs économiques du Figaro.

Où est passée la proposition d'exception sportive?
Les stars du championnat de France ont déjà obtenu, grâce à ce lobbying, des mesures de la part du ministre Jean-François Lamour il y a trois ans. Un droit à l’image (4), net d’impôt, permet ainsi d’être davantage «concurrentiel». Mais pas assez. Il faudrait s’aligner sur la fiscalité anglaise ou espagnole. En pleine crise, alors qu’on fustige à juste titre l’irresponsabilité voire la malhonnêteté de dirigeants d’entreprises qui s’octroient bonus, stocks options et parachutes dorés en tout genre, il faudrait saluer la volonté de défiscaliser des joueurs de foot qui émargent à plus de 100 000 € par mois ? Franchement, il y aurait de quoi séquestrer lesdits footballeurs, les présidents de clubs et, bien sûr, les journalistes dans la fameuse zone mixte (5).

Ainsi évacuée, l’idée folle de procéder, en pleine crise, à une baisse indigne des impôts des footballeurs, reste tout de même une question : va-t-on continuer de laisser le football français s’appauvrir de ses meilleurs talents, attirés par des émoluments plus intéressants ? Un homme, sage parmi les imbéciles, a le redoutable honneur de présider la FIFA. Il se nomme Joseph Blatter. Et il se bat pour imposer un quota de joueurs nationaux dans les clubs - le système du 6+5. Avant décembre 1995 et le funeste arrêt Bosman de la Cour européenne de justice de Luxembourg, les différences de fiscalité entre les pays étaient largement atténuées par le fait que huit places sur les onze que compte une équipe de foot étaient réservées aux joueurs nationaux (6). L’éventualité de cirer le banc, ou même la tribune présidentielle, constituait une incitation non négligeable à ne pas tenter l’aventure à l’étranger et donc rester dans son pays d’origine malgré des impôts plus forts. Mais l’idéologie européiste, la libre-circulation, la concurrence libre et non faussée et toutes ces fumisteries sont passées par là et ont créé, comme pour tous les domaines de la vie économique, la jungle que nous connaissons aujourd’hui, où les clubs anglais règnent en maîtres avec une fiscalité ridicule et le soutien d’oligarques russes ou de magnats saoudiens. Blatter a donc tenté de plaider pour un retour à des quotas de joueurs nationaux. Il semblait même que Nicolas Sarkozy et Gordon Brown (7) aient prêté attention à la proposition du président de la FIFA. Mais à Biarritz l’hiver dernier, Sarko et Brown se sont couchés devant la Commission et ont remballé l’idée d’exception sportive qu’ils claironnaient avoir réussi à imposer dans le traité de Lisbonne.


Les droits TV, condamnés à disparaître
Blatter, trop seul, ne parvient pas à imposer cette idée, pourtant de bon sens. C’est donc à la crise qu’il faut s’en remettre. Une crise qui ne devrait pas épargner le football professionnel. On en voit même déjà les prémisses aujourd’hui. Le marché de la pub s’effondre. Les oligarques russes sont moins riches et n’auront sans doute bientôt plus les moyens d’entretenir des «danseuses» que constituent à l’évidence les clubs qu’ils financent généreusement. Et surtout, la révolution technologique est en marche. Qui est le plus grand financeur du foot sinon les télés ? Ces télés, qui payent à des prix astronomiques des droits pour retransmettre les matches, vont-elles continuer de le faire alors que le marché de la pub est atone, que les consommateurs ont d’autres priorités que le paiement d’une chaîne à péage ? Et surtout, quand il est possible aujourd’hui de visionner un match sur son ordinateur grâce au site Justin-tv (8), le financement du football par la télé n’est-il pas condamné à court-terme ? Le château de cartes est prêt de s’écrouler. Les fameux droits TV constituent aussi une bulle qui ne devrait plus tarder à éclater.
C’est une très bonne nouvelle. Car cela forcera les autorités du football à repenser complètement leur modèle économique, se tourner à nouveau vers les supporteurs alors qu’ils préféraient les téléspectateurs. Repenser le modèle économique, avoir une politique vis-à vis du supporteur, c’est à nouveau parier partout sur la formation et c’est miser sur une nécessaire identification de ce dernier au club. C’est donc favoriser les joueurs locaux. Si une grosse crise permettait à nouveau à onze hollandais formés au club de remporter la Ligue des Champions comme l’Ajax Amsterdam en 1995 - juste avant l’arrêt Bosman -, ce n’est pas moi qui m’en plaindrais. Si, à nouveau, l’AJ Auxerroise (9) pouvait faire le doublé coupe-championnat comme en 1996 avec trois quarts des joueurs formés au club, j’en serais très heureux. Et je crois pouvoir dire que beaucoup d’amoureux du ballon rond partagent ce fol espoir.



(1) Comme, par exemple, virer le seul entraîneur qui lui ait permis de faire le doublé coupe-championnat.
(2) Rendons à César ce qui est à César. Ce n’est tout de même pas à Sacco de RTL qu’on doit la plus belle perle à ce sujet, mais à son confrère moins expérimenté d’Europe 1, Loïc de la Morinerie, qui disait comprendre que Juninho, star lyonnaise émargeant à 4,5 millions d’euros par an, puisse rêver d’aller chercher un contrat plus juteux dans le Golfe Persique pour mettre sa famille à l’abri du besoin. Parlait-il de la mettre à l’abri jusqu’à la douzième ou  la treizième génération des Juninho ?
(3) Vigilance de la Halde oblige, j’ai cité un beur, un blanc et un black.
(4) Qui par définition n’est utile qu’aux stars.
(5) Pour les non-initiés, il s’agit de la zone près des vestiaires où journalistes et joueurs peuvent se rencontrer.
(6) Les joueurs sélectionnables en équipe de France pour les clubs français, les joueurs sélectionnables en équipe d’Italie pour les clubs italiens, etc.
(7) Ce dernier étant fort meurtri que l’équipe nationale anglaise se soit effondrée à cause de la quasi-absence de joueurs anglais dans les meilleurs clubs de son pays.
(8) Ce site permet à un détenteur d’abonnement de chaîne payante de faire profiter à des dizaines de milliers d’autres un match de n’importe quel championnat.
(9) Ou le FC Sochaux, soyons fous ! 


Antidote pour marianne2.fr

Rédigé par jeanfrisouster

Publié dans #citoyens d'europe

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