«A l’école, on m’appelait "tête de Boche"»

Publié le 8 Août 2009

TÉMOIGNAGE

Né pendant la Seconde guerre mondiale d’une mère française et d’un père allemand, Daniel Rouxel est devenu le premier «enfant de la guerre» à accéder à la citoyenneté allemande, grâce à un récent accord.

 


Recueilli par LAURE EQUY  Source Liberation.fr

Daniel Rouxel quitte le Consulat d'Allemagne à Paris, mercredi

Daniel Rouxel quitte le Consulat d'Allemagne à Paris, mercredi (© AFP Pierre Verdy)

Depuis le temps qu’il se battait pour cette «reconnaissance de l’autre moitié de [son] identité», Daniel Rouxel, 66 ans, commençait «à perdre courage».

Né en 1943, d’une mère française et d’un père allemand, il vient d’obtenir son certificat de nationalité allemande, qui lui a été remis mercredi, lors d’une cérémonie au consulat d’Allemagne à Paris.

Il devient le premier de ces «enfants de la guerre» nés en France, à accéder à la double nationalité.

Selon un livre du journaliste français, Jean-Paul Picaper, et de l’écrivain allemand, Ludwig Norz (Enfants maudits, 2004, Ed. Les Syrtes), ils seraient ainsi jusqu’à 200 000 dans son cas. Vice-président de l’Association Coeurs sans frontières, qui milite pour cette reconnaissance, Daniel Rouxel raconte son histoire à Libération.fr.

Sa double nationalité franco-allemande. «C’est colossal, merveilleux d’obtenir cette reconnaissance de l’autre moitié de mon identité. Jamais de ma vie, je n’aurais pensé y arriver. J’avais écrit à tous les présidents de la République, à chaque changement de gouvernement, qui me répondaient mais bottaient un peu en touche. Il faut se rendre compte que les "enfants de Boche", comme on nous a appelés, ont tout eu comme insultes. Désormais, je suis comme tout le monde: j’ai une Maman et un Papa reconnus.»

Ses parents. «Ils se sont rencontrés sur une route de Bretagne. La bicyclette de ma mère avait déraillé. S’est arrêtée une voiture allemande et mon père, qui était secrétaire du commandant du camp militaire de Pleurtuit et parlait correctement français l’a aidée. Par la suite, il lui a proposé de travaillé à Pleurtuit (Ille-et-Vilaine). Ma mère est partie accoucher à Paris car elle ne voulait pas que cela se sache. Elle m’a mis au monde "sous secret", le 2 avril 1943 à la maternité de Port-Royal.»

Sa famille allemande. «Mon père m’a vu quelques fois avant de rentrer en Allemagne, à la fin de la guerre, et de mourir de la typhoïde, en 1945. Il m’a pris dans ses bras, m’a donné le biberon. Il avait écrit à sa mère pour l’informer de ma naissance. Ma famille paternelle a fini par me retrouver. Quand je l’ai rencontrée, en Allemagne, à l’âge de 12 ans, elle m’a accueillie avec beaucoup d’affection. Je suis allée sept fois là-bas. Nous sommes toujours en excellents termes.»

Son enfance. «J’ai été placé dans une famille d’accueil à huit mois, avant d’aller vivre chez ma grand-mère maternelle. Tout le monde, dans ce petit village de 600 habitants, était au courant. J’ai été accueilli comme une bête curieuse, un paria. Les parents avaient interdit aux autres enfants de me parler. L’instituteur a refusé de me présenter au certificat d’études. A l’école on m’appelait "tête de Boche" ou "fils de putain". Des brimades sans arrêt. Et j’étais tout blond, ce qui n’arrangeait rien... Un jour, un secrétaire de mairie a demandé à des gens du village: "quelle est la différence entre un Boche et une hirondelle? L’hirondelle emmène ses petits avec elle, l’autre les laisse sur place." Certains l’ont applaudi. J’avais 6 ans. Enfant, on n’a que ses pleurs et sa honte.»

Son secret. «Je n’en ai plus parlé jusqu’en 1994, lorsque TF1 a fait un reportage sur mon histoire. Le fait de raconter m’a libéré. Auparavant, quand mon entourage discutait de la guerre, j’avais honte. Comme si j’étais responsable...»

Le règlement sur la citoyenneté allemande. «Il a été un peu modifié: nous ne pouvions pas demander la nationalité à cause de certains critères comme le fait de parler allemand ou d’avoir vécu plusieurs années en Allemagne. Suite à un discours de Bernard Kouchner (ministre des Affaires étrangères, ndlr) à Berlin en avril 2008, les deux pays ont travaillé pour trouver une juste milieu et nous avons eu cette dérogation. Aujourd’hui, il nous faut prouver que l’on a un père allemand, que nos parents se sont connus pendant la guerre, que notre mère ne vivait pas très loin du lieu où notre père était en garnison. Voir ma demande aboutir c’est aussi un encouragement pour tous les autres.»

Rédigé par jeanfrisouster

Publié dans #citoyens d'europe

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